Petite histoire de France de Jacques Bainville - Louis XV

 

Bataille de Fontenoy

 

On a l’habitude de dire beaucoup de mal de Louis XV. On lui reproche d’avoir été indolent, d’avoir aimé les plaisirs et de s’être laissé conduire par des favoris et des favorites. Tout de même, comme la plupart de ses prédécesseurs, il a trouvé le moyen d’agrandir la France et il lui a laissé la Lorraine et la Corse.

Ce n’est déjà pas si mal quand on pense qu’en ce temps-là les Français eurent pour ennemies l’Angleterre et la Prusse. Ils avaient même commencé par combattre la maison d’Autriche, par une sorte de vieille habitude. Mais ce n’était plus la maison d’Autriche qui était l’adversaire. C’était le roi de Prusse, qui était devenu bien plus dangereux et qui était bien plus perfide, car il faisait quelquefois semblant d’être notre ami.

Par la guerre avec l’Autriche, on aurait achevé la conquête de la Flandre, c’est-à-dire qu’une grande partie de la Belgique serait devenue française. Mais cela, l’Angleterre ne le permettait pas. Elle nous déclara donc la guerre, et, comme sous Louis XIV, forma contre nous une coalition. Notre allié était le roi de Prusse. Mais c’était un allié infidèle, toujours prêt à trahir dès qu’il y voyait son intérêt.

Cette guerre fut longue, car elle dura sept ans. Elle fut mêlée de succès et de revers. Les Français allèrent bien loin, jusqu’en Bohême, où ils prirent la ville de Prague. Le jour de l’attaque, le colonel Chevert rassembla ses sergents et leur dit : « Mes amis, vous êtes tous braves ; mais aujourd’hui il me faut un brave à trois poils. »
Les regardant tous, il s’adressa au sergent Pascal et lui dit :

« Tu vas monter le premier.
-    Oui mon colonel.
-    Une sentinelle criera : « Qui va là ? » Tu ne répondras rien.
-    Oui mon colonel.
-    Elle tirera sur toi et te manquera.
-    Oui mon colonel.
-    Tu la tueras.
-    Après cela, ne crains rien. Nous arriverons tous. »

Les choses se passèrent comme Chevert l’avait dit et la ville fut prise.

Cependant l’ennemi refusait de faire la paix. On la lui arracha par une victoire. Et le roi lui-même  se rendit en Flandre, accompagné du maréchal de Saxe, illustre soldat, mais presque impotent et si malade, qu’il ne pouvait plus monter à cheval. Il se faisait traîner dans une petite voiture d’osier et il allait regarder les lignes ennemies d’aussi près que s’il avait été en selle.

Le maréchal de Saxe, ainsi qu’il l’avait annoncé, rencontra les Anglais dans la plaine de Fontenoy, dont le nom est resté celui d’une victoire mémorable. Comme le régiment des gardes françaises se trouvait en présence de l’infanterie anglaise, lord Hay, saluant poliment, leur dit :

 « Messieurs les Français, tirez les premiers. »

Les officiers français rendirent le salut, car, en ce temps là, tout, même la guerre se faisait poliment, et le comte d’Auteroche répondit à lord Hay :

« A vous l’honneur ! »

La vérité oblige à dire que les gardes françaises n’attendirent pas que les Anglais eussent tiré et déchargèrent même leurs fusils sans ordre et un peu trop vite, en sorte que la fusillade anglaise fut très meurtrière. L’ ennemi avança et quelques boulets vinrent tomber tout près de l’endroit où le roi se tenait impassible. Alors le maréchal de Saxe, malgré ses souffrances, se fit amener un cheval et lança la cavalerie et l’artillerie contre les Anglais, dont le carré fut disloqué et qui s’enfuirent dans une véritable panique.

L’autre guerre que soutint Louis XV fut aussi une guerre de sept ans, et c’est sous ce nom qu’elle est restée connue.

Alors nous eûmes encore pour ennemie l’Angleterre, qui voulait dominer les mers et nous prendre nos colonies, car nous possédions l’Inde et une grande partie de l’Amérique du Nord avec le Canada, où il y avait déjà cent ans que les colons français s’étaient fixés. Et à l’Angleterre s’était joint le roi de Prusse Frédéric, tandis que notre allié était cette fois l’Autriche.

On se battit partout, sur terre et sur mer, en Europe, en Amérique et en Asie. Du moins, la guerre n’avait-elle pas lieu en France, mais de l’autre côté du Rhin, sur le territoire allemand. Si la bataille de Rosbach fut perdue, ce fut en Allemagne. Mais les Français, en ce temps là, comme il leur est arrivé bien souvent avant et depuis, faisaient la guerre avec un peu trop de légèreté et d’élégance, ce qu’on a appelé la guerre en dentelles. Soubise fut tout étonné d’être battu à Rosbach. Mais on disait de lui qu’il se faisait suivre par des cuisiniers, tandis que le roi de Prusse se faisait précéder de cent espions.

Comme à Crécy et à Poitiers, les Français étaient parfois imprudents, mais toujours chevaleresques. Un des plus beaux épisodes de cette guerre fut celui du sergent Dubois et du chevalier d’Assas. Tous deux, en Allemagne, conduisaient une nuit en éclaireurs le régiment d’Auvergne, lorsque le sergent Dubois, qui était en avant, tomba au milieu des Anglais, qui lui dirent que, s’il poussait un cri, il était un homme mort. Mais Dubois voulut avertir ses camarades du danger et s’écria d’une voix retentissante :

« A nous Auvergne, ce sont les ennemis ! »

Il tomba percé de coups. Et le chevalier d’Assas, qui le suivait, ordonna à ses soldats de tirer sans prendre garde à lui. Une de leurs balles le frappa à mort. Ce dévouement de deux héros sera toujours cité en exemple.
Cette guerre eût été gagnée si l’héroïsme eût suffit. Il en fut déployé beaucoup aussi dans les batailles navales et dans les pays lointains. Mais il fallut céder au nombre et surtout à la supériorité de la flotte anglaise. Au traité de Paris, la France ne céda pas un pouce de son territoire mais elle perdit presque toutes ses colonies, l’Inde malgré l’énergie de Duplex, le Canada malgré vigueur de Montcalm.

La fin du règne de Louis XV se passa à essayer de réparer ce malheur. Un grand ministre, Choiseul, rendit à la France une marine. La Corse fut conquise, malgré les Anglais. Et la Lorraine, qui n’avait jamais pu être réunie que passagèrement, devint pour toujours française. Car il n’y a pas beaucoup plus d’un siècle et demi que Nancy est français, tant il a été difficile et long de faire la France.